

Auteur : Célia Kesraoui Date : Juin 2016 Structure de recherche associée à la MRSH : ESO-Caen |
Avant de prendre cette photo, j’ai demandé aux enfants présents sur ce trottoir leur autorisation. C’est avec une immense joie qu’ils se sont prêtés au jeu. En voyant les garçons tout excités, la fille qui se trouve à gauche au premier plan sur le cliché a couru pour participer elle aussi à cette séance photos. Gêné par sa présence, son grand frère d’une dizaine d’années lui a dit : « Je ne t’ai pas demandé d’aller jouer avec tes copines ? ». La fillette sait très bien ce qui gêne son frère mais ne comprend pas tout à fait sa réaction et répond : « Oui, mais c’est juste une photo ! ». Le frère rétorque avec autorité : « J’étais d’accord pour que tu sortes jouer dehors avec tes copines. Mais là tu demandes trop ! ». Il ordonne alors à sa petite sœur de quitter les lieux et d’aller jouer avec ses copines à la dînette dans la cage d’escalier.
Cette scène témoigne des inégalités spatiales sexuées présentes dans une ville nouvelle en Algérie, Ali Mendjeli, située près de Constantine. Dans la société algérienne, l’éducation contribue à ériger des murs entre les filles et les garçons. La construction sexuée de l’espace public chez l’enfant est l'une des dimensions spécifiques des quartiers algériens. Elle se traduit essentiellement par l’occupation massive de l’espace public par les garçons et par le refus de la mixité filles-garçons. Les filles refusent de jouer avec les garçons par peur et les garçons ne le font pas à cause d’une estime de soi exagérée. A droite de la photo, une autre fille apparaît avec des vêtements de couleur rose : une autre manière codifiée d’opposer filles et garçons que l’on retrouve aujourd’hui dans de nombreux pays. Comment, en fonction du sexe d’appartenance, l’enfant occupe-t-il et s’approprie-t-il l’espace urbain public ? S’agit-il d’un espace réservé au genre masculin ? Cette éducation et cette « culture » peuvent-elles être remises en cause ? Comment ce processus évolue-t-il avec l’âge ?
Célia Kesraoui réalise actuellement sa thèse de doctorat intitulée : Pratiques et appropriations de l'espace d'une ville nouvelle en Algérie.